« Nous sommes parvenus désormais à un moment de vérité qui met chacun devant ses responsabilités », a déclaré Michel Barnier devant l’Assemblée nationale, mettant en garde contre la possibilité que le pays entre « en territoire inconnu ». Le Premier ministre de 73 ans, nommé par Emmanuel Macron le 5 septembre, venait devant la chambre pour dégainer le fameux article 49 alinéa 3 de la Constitution qui permet l’adoption d’un texte sans vote. Il expose aussi le gouvernement au risque d’une motion de censure. Celle-ci n’a pas tardé, à l’initiative de l’alliance de gauche Nouveau Front populaire. « Il aura à la fois le déshonneur et la censure », a fustigé la cheffe des députés de La France insoumise, pointant les concessions du gouvernement au Rassemblement national. Le texte, qui sera débattu mercredi au plus tôt, sera défendu par le président de la commission des Finances, l’Insoumis Eric Coquerel. Le groupe RN a déjà fait savoir qu’il le voterait, mais aussi qu’il déposait sa propre motion de censure avec ses alliés ciottistes. Pour faire chuter le gouvernement, 288 députés devront voter la censure, soit un nombre très largement à la portée d’une alliance de circonstances entre la gauche et le RN. « M. Barnier n’a pas souhaité répondre à la demande des 11 millions d’électeurs du Rassemblement national », « il a dit que chacun assume ses responsabilités, nous assumerons donc les nôtres », a déclaré Marine Le Pen. Dépourvu de majorité à l’Assemblée, le gouvernement a multiplié au cours de la dernière semaine les concessions au parti d’extrême droite, que ce soit sur les taxes sur l’électricité ou sur l’Aide médicale d’Etat – insuffisamment toutefois sur ce sujet selon Mme Le Pen. Dans la matinée, Michel Barnier s’était entretenu au téléphone avec la députée du Pas-de-Calais, puis avait annoncé dans un communiqué un nouveau geste dans sa direction en s’engageant « à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments » en 2025, alors que le gouvernement avait prévu une baisse de 5%. Mais pour Marine Le Pen, le compte n’y était toujours pas. En arrivant à l’Assemblée dans l’après-midi, juste avant une séance cruciale, elle a réaffirmé qu’elle demandait au chef du gouvernement de renoncer à la désindexation partielle des retraites s’il voulait échapper à la censure.
« Au bout du dialogue »
Le Premier ministre a fermé la porte à de nouvelles concessions dans son discours: « J’ai été au bout du dialogue avec l’ensemble des groupes politiques ». L’Assemblée était appelée à voter sur le texte issu la semaine dernière des travaux d’une commission mixte paritaire députés-sénateurs, qui prévoit désormais 18,3 milliards d’euros de déficit en 2025, soit 2,3 milliards de plus que l’objectif de 16 milliards fixé au début de l’automne. Si le gouvernement Barnier tombait, la France s’enfoncerait encore plus dans la crise politique créée par la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin, avec en outre le risque d’une crise financière liée la capacité de la France à emprunter sur les marchés à de faibles taux. « Sans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale que nous examinons aujourd’hui, le déficit des comptes sociaux atteindrait près de 30 milliards d’euros l’an prochain« , a mis en garde dans l’hémicycle le ministre du Budget Laurent Saint-Martin. L’écart entre les taux d’intérêt d’emprunt de la France et de l’Allemagne (le « spread ») a fortement augmenté après l’annonce de Michel Barnier, signe de l’inquiétude des investisseurs. L’Elysée n’a fait aucun commentaire sur la nouvelle donne politique, alors qu’Emmanuel Macron a atterri à Ryad pour une visite d’Etat de trois jours en Arabie saoudite. Mais c’est bien le chef de l’Etat qui aura rapidement la main car, si le scénario d’une censure se confirme, il devra nommer un Premier ministre. « Cette motion de censure n’est pas une fin en soi, elle n’est pas non plus un outil qui vise à la déstabilisation », ont assuré dans un communiqué les élus socialistes, appelant le chef de l’Etat à nommer un Premier ministre de gauche. Dos au mur, les neuf chefs de groupes parlementaires composant le « socle gouvernemental » à l’Assemblée et au Sénat – parmi lesquels Gabriel Attal et Laurent Wauquiez – ont lancé une ultime mise en garde. « Voter une motion de censure reviendrait à plonger le pays dans l’inconnu », ont-ils averti dans un communiqué commun, plaidant au contraire pour « la stabilité et l’apaisement ».
Pour le sénateur Grégory Blanc : « Le gouvernement fait le choix de l’instabilité, faute de parvenir à clarifier sa propre orientation »
« Dimanche soir, et pour la 1ère fois de ma vie, je quittais un hémicycle en séance afin de ne pas cautionner le détournement de nos institutions. Concrètement, la loi prévoit la possibilité d’une seconde lecture à la fin des débats pour faire le point sur les conditions de l’équilibre budgétaire et corriger à la marge quelques dispositions. En l’espèce, le gouvernement a décidé d’effacer les apports du Sénat, après une semaine de débats, et principalement tous les compromis trouvés, notamment ceux entre la gauche et les centristes sur l’évitement de la fraude fiscale (exit tax, prise en compte des “cumcum”, …), le relèvement de la taxation des dividendes de 30% à 33% (ce qui n’est pas une révolution !), la suppression durable des mesures sur le FCTVA pour les collectivités, une juste fiscalisation des GAFAM, etc. Au final, un équilibre a été trouvé permettant de dégager 5 à 6 milliards d’euros supplémentaires de façon à réduire le déficit et les coupes budgétaires. En faisant cela, le gouvernement efface d’un trait tout le travail sénatorial. Pour ma part, je ne partageais pas l’équilibre final de la copie, mais il relevait de nos échanges, avec une majorité souvent… majoritaire, et d’autres fois, des dispositifs fruits d’un compromis trouvé au sein du Sénat. Comment cautionner cette volonté d’effacer le Parlement, c’est-à-dire les discussions sereines au Sénat et représentatives des différents territoires du pays ? Dans les faits, une réalité est apparue tout au long des débats : l’absence de cap et les tensions au sein même du gouvernement, entre les tenants « macronistes » de la politique de l’offre avec baisses d’impôts financées par le déficit (coût annuel : 60 milliards d’euros) et les tenants des coupes budgétaires dans les politiques publiques, incarnés par la droite sénatoriale. Faute d’avoir pu trancher ces désaccords en son sein, le gouvernement est passé en force afin de faire valoir au Sénat la voix des « lignes rouges » macronistes, qui n’y sont que très faiblement représentés. Accepter d’être minoritaire sur certains sujets ne peut pas être un drame. En définitive, le gouvernement fait le choix d’un coup de force au Sénat pour préparer la commission mixte paritaire. Cette manœuvre porte un nom : le détournement du débat parlementaire, et donc du bicamérisme. Cette déstabilisation accroît les fragilités politiques du pays dans un moment où plus que jamais nous avons besoin de consolider nos institutions. Finalement, le budget ressort avec un déficit de 5,4% contre 5% prévus initialement. C’est bien parce que ce budget d’aggravation du déficit ne tient pas que ce gouvernement ne peut pas tenir. Voilà pourquoi depuis deux mois, faute de parvenir à clarifier l’orientation en son sein, le gouvernement est incapable de discuter avec d’autres forces politiques. Cette réalité apparaît désormais factuellement dans les chiffres. La France a besoin d’une majorité stable, c’est-à-dire de Front républicain, la seule possible. »
« Non au vote des motions de censure contre le gouvernement », lance la députée Laetitia Saint-Paul
« Alors que « La France Insoumise » et le « Rassemblement national » annoncent vouloir déposer chacun une motion de censure suite au déclenchement par le Premier ministre, Monsieur Michel Barnier, de l’article 49.3 sur le vote du budget de la Sécurité sociale, j’exprime mon opposition au vote des ces motions de censure. Les extrêmes s’unissent pour mener le pays dans l’inconnu. Aujourd’hui, chacun se retrouve face à ses responsabilités, et un choix se pose à l’ensemble des responsables politiques : choisir entre les calculs politiciens et l’intérêt général. L’intérêt du pays, aujourd’hui, ce n’est pas le saut dans l’inconnu ou la stratégie du pire. L’intérêt du pays, c’est la stabilité et l’apaisement. C’est ce à quoi j’appelle aujourd’hui. »
Avec AFP
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