Sans modération, mais en toute sobriété, le « Livre et le Vin » s’entrelacent chaque année dans une effusion publique résonnante de notoriété. Cette fin de semaine, les 27èmes des journées nationales chères à Brialy et Chabrol se sont offertes au cœur de notre cité dans l’œcuménisme d’une « ivresse littéraire » attendue. Telle une parenthèse éthérée, elles redorent ces temps de sombritude dénués de rêveries, nos premiers jours d’un printemps tourmenté, en ébullition. «Toute littérature est un assaut contre la frontière»*, une porte ouverte vers la compréhension de ce qui nous échappe, vers la culture, nécessaire ciment d’une société responsable. Aujourd’hui, l’édition est prospère, en apparence, et les librairies indépendantes fleurissent dans un commerce de proximité revisité par le talent et le professionnalisme de passionnés qui transmettent l’envie. Nous avons le bonheur de compter dans notre centre-ville l’exemplaire illustration de cette renaissance portée par « Le livre à venir », depuis plus d’une décennie. L’avènement d’enseignes comme Amazon avait fait craindre le pire dans cette filière économique vulnérable dominée par les poids des éditeurs. Le mastodonte de la distribution a stabilisé son emprise autour de 30% d’un marché boosté par l’épisode contraint de la crise sanitaire. Le désir de lecture reste réel, mais se profilent quelques menaces, nouvelles issues de l’avidité récurrente de grands argentiers, autour des fleurons dominants de l’édition. Vincent Bolloré, le pédégé milliardaire du groupe Vivendi, propriétaire de Canal +, Havas, Prisma (Gala, Femme actuelle, Géo, Capital…) s’était offert Editis, en 2019, la deuxième puissance de l’édition nationale composée d’incontournables tels Plon, Julliard, Robert Laffont, Nathan… et d’autres composantes régnantes du paysage littéraire. Être numéro deux l’agace, l’irrite, l’incommode et, naturellement, il lorgne vers la première marche du podium occupée par Hachette ! Et Hachette c’est Larousse, Stock, Fayard, Le livre de Poche ou encore Calmann-Lévy, autant dire la partie majeure manquante nécessaire pour compléter le camembert de l’offre éditoriale. De quoi inquiéter, tant le colosse engendré pèserait sur l’économie de la filière et, plus grave encore, sur l’orientation potentielle du catalogue scolaire ou de la littérature commune. Un quasi-monopole en contradiction avec la législation dont M. Bolloré pourrait s’exonérer par quelques saltos juridiques de vaste ampleur mais, plus sûrement, en cédant à prix d’or la portion incongrue acquise il y a quatre ans.
Le bien peu commun
Ouf ! pourrait-on dire, si ce n’est que son successeur pressenti lui ressemble comme deux gouttes d’eau d’une limpidité opaline. Néo milliardaire, cet ex « first business angel de France », fondateur de Smartbox, pilote une société de fonds d’investissement gérant 1,2 milliard d’euros et, plus surprenant, un organisme à but non lucratif, le Fonds du bien commun. Merveilleux philanthrope, Pierre-Edouard Stérin «crée et soutient des projets associatifs et entrepreneuriaux ambitieux, capables de transformer la société». Cet affichage de bon aloi perd de son teint à la lumière de prédispositions très libérales (en affaires) et très conservatrices (questions sociétales) qu’il exhibe ostentatoirement dans des prêches privés mensuels, auxquels sont aimablement conviés de fortunés conformistes. Parmi les fidèles de ces apéros mondains, défilent en bonne place le gratin de la Manif pour tous, la crème de l’associatif catholique immodéré et la fine fleur des droites fortes et extrêmes. Un quarteron de personnalités connues pour leur tolérance, leur acceptation des différences. Eric Zemmour, Marion Maréchal, Nicolas Bay, Bruno Retailleau, Nadine Morano… croisent ainsi le verre de l’amitié avec cet exilé fiscal d’outre-Quiévrain, attendu pour reprendre le flambeau de Bolloré.
Il n’y a pas de mal qui n’ait son pire.
Georges Chabrier
* Emprunté à Franz Kafka
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Commentaires 6
Je n’ai rien contre les riches, ils ont réussi et c’est tant mieux pour eux. Par contre on comprend mieux le système Bolloré à travers l’émission Hanouna. On écrase tout et même l’être humain. Humiliations, brimades, harcèlement et mise au diapason des chroniqueurs. Et pour revenir sur le fond du sujet, à qui la faute si Bolloré achète tout? Les éditeurs ont fait le choix de tout lui vendre et c’est bien préjudiciable pour tous. Je dirai tous coupables éditeurs et Bolloré.
Merci Georges pour ces éditos toujours pertinents, bien rédigés et, surtout, hors du main stream saumurois assez conservateur (euphémisme !). Merci, donc, et bravo.
Est-ce de la jalousie ou de la méchanceté ? Que feriez-vous à la place de ceux que vous ne pouvez blairer parce que plus riches que vous ? Les bons gestionnaires cherchenr toujours à faire fructifier leur patrimoine. Ce que vous feriez sans doute à leur place, étant donné vos observations sur leur façon de faire qui vous déplaît tant mais qui deviendrait savoir-faire pour vous.
Vous oubliez juste un détail. C’est pas le fait de posséder de nombreux pans de l’édition qui est critiquable. C’est le fait d’imprimer par tout ces vecteurs d’information une unique façon de penser. Virer Patrick Cohen, Bruno Jeudi, Matthieu Belliard, Stéphane Guy, les Guignols de l’Info (je ne vais pas tous le citer je n’aurais plus assez de caractères), c’est mettre en danger la pluralité de l’information et la liberté d’expression. Et ça c’est grave.
Editos toujours intéressants et qui font réfléchir…Ce qui est assez rare. Bravo.
La question que soulève cet édito c’est celle de la concentration et du contrôle de l’édition, de la presse et des médias en général auxquels il faut aussi ajouter la littérature et le cinéma. Sommes-nous en train de glisser vers ce qui est observé aux Etats Unis où télés, journaux sont politiquement engagés, où les bestsellers sont mis en avant au détriment des autres titres où un film d’auteur aura les plus grandes difficultés à trouver un financeur et un diffuseur ?