L’édito du Kiosque : danger, haute tension

La fin d’année promet. Rien de bien engageant à la lecture et la vision, même optimistes, de probabilités du meilleur genre. Tout part à vau l’eau vers un océan de contrariétés, agité de grandes marées sociales et guerrières
Photo AFP

C’était en mai 68. Au plus fort de la contestation sociale et estudiantine, le général De Gaulle avait exprimé son ras-le-bol. « La réforme, oui. La chienlit, non » avait tempêté le chef de l’Etat au sortir d’un conseil des ministres secoué par le désordre et l’agitation de la rue. Aujourd’hui, ce sont les alliés de Michel Barnier qui s’approprient l’expression historique d’une grande pagaille annoncée et généralisée en cas de motion de censure votée contre le gouvernement. Pourtant, se souvient-on qu’en juin dernier Emmanuel Macron avait lui-même prétexté la nécessité d’éviter ladite chienlit pour justifier sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Une fulgurance saugrenue et aberrante dont on mesure à présent les effets politiques, sociaux et économiques. Tout part à vau l’eau mon pauvre, comme l’illustre à merveille cette expression et l’idée stable que l’eau coule toujours de l’aval vers la vallée. Vers le niveau le plus bas dans lequel notre pays et la planète entière pataugent, s’enlisent dans une spectaculaire et obscure harmonie. Avec la dissolution se sont délayés dans l’oubli de brûlants dossiers au rang desquels celui de notre agriculture. On ne sait si la botte de paille sur laquelle Gabriel Attal avait promis la lune alimente le retour des brasiers, mais l’ex Premier ministre, lui, se consume dans de nouveaux combats aux ambitions plus personnelles. Pressenti pour devenir le prochain chef de Renaissance, le parti de son ex patron licencieur, il est aussi cité pour mener la bataille de Paris, fief de la socialiste Anne Hidalgo, avant de viser plus haut. Toujours plus haut et beaucoup plus loin pour « rebâtir un parti d’idées, de terrain et de victoires » a-t-il promis à ses militants. A distance, il laisse donc aux autres le soin de se dépatouiller du bourbier budgétaire et des crises parlementaires et sociales agrégées par l’imbroglio conjoncturel. Côté Palais Bourbon rien ne va plus. Les quelques espoirs de Michel Barnier de voir son équipe survivre à la crise s’amenuisent, précarisés par la volte-face du Rassemblement National moins enclin à poursuivre sa quête de respectabilité après les réquisitions du parquet dans l’affaire des assistants parlementaires. Touchée, mais pas encore coulée, Marine Le Pen dénonce la « violence » et « l’outrance » de requêtes engendrant sa mort politique. « La volonté du parquet est de priver les Français de la capacité de voter pour ceux qu’ils souhaitent » a-t-elle martelé pour politiser le débat et se disculper d’un délit avéré. Non fictif, comme les emplois de ses assistants, en embarras saisissants pour justifier de leurs activités dans un système de financement organisé, au mépris de toutes règles démocratiques.

Gare aux maladresses

En d’autres temps Jérôme Cahuzac, Alain Juppé et François Fillon avaient triché, ils furent justement condamnés. Marine Le Pen s’en était félicité pour capitaliser sur sa posture de candidate antisystème face aux « tous pourris ». Plus révérencieux que jamais, Jordan Bardella, protégé des éclaboussures, s’en rapporte quant à lui, insidieusement, à la légitimité. « Ne pas avoir de condamnation à son casier judiciaire est pour moi la règle numéro une lorsqu’on souhaite être parlementaire (…), ça vaut pour tout le monde ». Et toc, ma chère, tu peux contester l’état de droit, mais sans moi. S’il n’en reste qu’un, entendez présidentiable, je serai donc celui-là. Et si, bien entendu, aucun subterfuge parlementaire ne vient secourir sa présidente en détresse. Désormais focalisée sur le pouvoir d’achat, elle menace frontalement de faire tomber le gouvernement piégé par d’innombrables départs de feux détectés dans le maquis inextricable de notre société. Oreille attentive du FN, la Coordination rurale a allumé la mèche, attisant brutalement la colère légitime des agriculteurs. Les cortèges sont en marche déversant ça et là des bennes de revendications encombrantes pour un pouvoir percuté par l’actualité bruissante de fermetures d’usines, de licenciements, de grèves, annoncées et programmées. A l’approche des fêtes de fin d’année, les transports aériens et ferroviaires se mobiliseront aussi pour asseoir leurs revendications au balcon d’un Noël redouté, livré aux tensions multiples de crises endolories par la lassitude, mais très prégnantes. La marge est ténue et quelque maladresse gouvernementale pourrait fort bien conglomérer les colères en une contestation de base apparentée au mouvement des gilets jaunes. La France est sous haute tension, en son sein, et hors frontières où sont évoquées les pires déflagrations. Chantage, menaces à l’utilisation de l’arme nucléaire entrent dans le langage courant des puissances belliqueuses, comme des promesses d’avenir interdit. Sous l’œil attentif et malicieux du Chinois Xi Jinping, les grands mâles des Etats-Unis et de la Russie bombent le torse dans une parenthèse toujours plus meurtrière pour les Ukrainiens. Le baroud d’honneur est déclenché malgré les intimidations, le risque majeur brandi par l’autocrate du Kremlin. Trump et Poutine se sont implicitement donné rendez-vous le 20 janvier prochain, laissant aux idéologues l’idée saugrenue de la fin du monde. Ils aiment éperdument l’argent, le business, le pouvoir et … la vie aussi.

Georges Chabrier

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