Le Kezako du Kiosque : Droit du travail et salubrité

Dans la culture d’entreprise actuelle, le titre-restaurant pour le salarié est un élément normal et quotidien. Bien entendu, la prise en charge d’une partie des repas des travailleurs n’a pas coulé de source. Depuis peu, les débats s’enflamment sur son évolution, si bien que certains craignent qu’il ne disparaisse. Mais le ticket resto, kézako ?

Tout commence vraiment au sortir de la Seconde Guerre mondiale avec l’apparition en Angleterre des “luncheon vouchers” (“bons déjeuner” en français), dans un contexte de forte restriction alimentaire. Car dès le début du XXe siècle, les groupes industriels étaient tenus de donner à leurs employés un cadre décent pour se nourrir. Les bases sont alors proches du ticket de rationnement, devant permettre à chacun d’avoir accès aux produits de première nécessité. C’est une vingtaine d’années plus tard, en France, que Jacques Borel, un industriel, lance le ticket-restaurant pour offrir aux ouvriers n’ayant pas accès à une cantine d’entreprise de quoi se sustenter sans que cela ne soit un trop lourd fardeau sur la paye. Après de longs pourparlers, le gouvernement finit par adopter le principe, le titre-restaurant devient alors un avantage social pour le salarié, et un avantage fiscal pour l’employeur. Rapidement, le concept séduit à la fin des années soixante puisque d’autres pays l’importent comme la Belgique, l’Allemagne ou le Brésil. Déjà, à cette époque, le fameux coupon est utilisé uniquement contre de la nourriture, en restaurant ou dans des commerces de bouche. Les années 1980 marquent véritablement l’essor du ticket-resto, avec notamment l’ouverture à la concurrence des sociétés émettrices de celui-ci. Selon la Commission Nationale des Titres-Restaurants (CNTR), 171 millions de titres avaient, par exemple, été émis pour la seule année 1981, pour une valeur totale de près de 2 milliards de francs (soit environ 820 millions d’euros aujourd’hui). Un beau succès.

Utilisations et adaptations

Historiquement, le titre-restaurant permet d’acquérir des aliments dans une certaine mesure. Une liste est notamment établie pour circonscrire son utilisation, ainsi, la majorité des produits bruts sont exclus (pâtes, riz, poissons et viandes crus, céréales, conserves, surgelés) pour ne garder que ce qui peut être consommé au cours d’un repas sur le lieu de travail et qui ne nécessite pas de la part de l’employé de cuisiner. En effet, cet avantage en nature n’a jamais eu vocation à remplir le Caddie des ménages puisqu’il ne s’agissait pas, en substance, d’une aide à la consommation. L’employeur prend en charge jusqu’à 60% de la valeur du titre, laissant aux salariés le reste, prélevé directement sur le salaire. Ainsi, chaque travailleur bénéficiant de ce régime obtient un carnet (ou une carte dématérialisée) et peut “payer” une fois par jour une somme maximale dont le plafond a pu varier. Avec la crise économique et plus récemment celle du Covid-19, l’utilisation du titre-restaurant s’est adaptée aux difficultés croissantes de la population. À partir de 2021, plusieurs choses ont changé. Dans un premier temps, le plafond de dépenses journalières a augmenté, passant de 19 à 25 euros, puis, à partir de 2022, l’Etat a introduit une dérogation exceptionnelle pour que les titres-restaurants puissent être recevables dans les centres commerciaux de la grande distribution contre tout type de denrée alimentaire, mettant ainsi entre parenthèses la liste restrictive jusqu’alors en fonction. Mais ces “gestes” devaient s’arrêter, conformément à ce qui avait été annoncé, le 31 décembre 2023. Une nouvelle qui a été très mal accueillie puisque l’inflation n’est pas redescendue et que le pouvoir d’achat est toujours aussi moribond.

Levées de boucliers

Le gouvernement du Président Macron et son ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, sont désormais pris en tenailles. D’un côté, les professionnels de la restauration ainsi que le CNTR voient d’un très mauvais œil la prolongation de cet assouplissement, de l’autre l’opposition et une partie des bénéficiaires qui ne comprennent pas qu’on veuille supprimer cette aide substantielle alors que les prix ne cessent de grimper. Pour ceux qui souhaiteraient le retour à la normale, deux arguments sont principalement évoqués. La vocation du titre-restaurant est d’être dépensé… au restaurant. N’oublions pas que les restaurateurs accusent d’un sérieux manque à gagner depuis deux ans (200 millions d’euros selon Thierry Marx, chef et président du syndicat Umih). Pour le CNTR, continuer de dénaturer le service rendu par le titre pourrait, à terme, rendre le dispositif financièrement caduc. Evidemment, côté consommateurs, le rétropédalage du gouvernement et la possibilité de voir la date terminative être repoussée à la fin de l’année 2024 est un soulagement. Certaines voix demandent désormais à ce que soit créé un nouveau titre ou chèque, en parallèle du ticket-resto, pour aider tous les Français face à la hausse des prix.
Un exercice complexe se joue pour tenter de satisfaire le plus grand nombre sans pour autant perturber le fragile équilibre derrière cette avancée sociale.

Hugo

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