Contrairement à ce qu’écrivaient les historiens saumurois du siècle dernier, Anne Le Fèvre, plus connue sous le nom d’Anne Dacier, n’est pas née à Saumur, le 05 août 1645. On ne sait pas précisément où elle a vu le jour. Suivant diverses sources, elle serait née à Grandchamp en Haute-Marne pour les uns, à Preuilly en Indre-et-Loire pour les autres.
Elle est la fille de Tanneguy Le Fèvre et de Marie Olivier. Son père est philologue – personne qui se consacre à l’étude des langues et de la littérature à partir de documents écrits – il a participé aux débuts de l’imprimerie royale comme directeur des impressions. En 1649, il se fixe avec sa famille à Saumur, haut-lieu du protestantisme français. Assez rapidement, il devient professeur de grec à l’Académie protestante créée par Philippe Duplessis-Mornay. Il a alors grande réputation. Il meurt en 1672 alors qu’il s’apprête à devenir professeur à l’université de Heidelberg, la plus réputée d’Allemagne.
Marié, il a eu plusieurs enfants. Une anecdote savoureuse relate que, fidèle à son époque, monsieur Le Fèvre n’attend pas grand-chose de sa fille. En revanche, il éduque avec grand soin son fils. Tandis qu’il prodigue des leçons à ce dernier, Anne, qui n’a alors que onze ans, s’adonne à la tapisserie. Il arrive qu’un jour le garçon n’étant pas capable de répondre aux questions, son père s’aperçoit que c’est la petite sœur qui répond à sa place en catimini. Ravi, il soumet dès lors la fillette à la même éducation que son frère. Il lui apprend d’abord le latin, puis le grec pour lequel elle manifeste un très vif intérêt et enfin l’italien. Très douée pour les lettres, Anne passe vite du statut d’écolière à celui de conseillère de son père. Il ne fait bientôt plus rien sans sa précieuse assistance.
En 1665, Anne épouse Jean Lesnier, l’imprimeur-libraire préféré de son père, mais le couple se sépare cinq années plus tard.
Au décès de son père, Anne quitte Saumur pour Paris. En 1674, elle publie un Florus avec des commentaires en latin qui connaît un grand succès public, surtout quand on découvre qu’il est l’œuvre d’une femme. A partir de là, les parutions se succèdent. A Paris, Anne rencontre un ancien élève de son père, André Dacier, qu’elle épouse à l’âge de 36 ans. Auparavant, le couple a eu une fille illégitime qui deviendra plus tard religieuse à l’abbaye de Longchamps.
La réputation d’Anne en tant que femme de lettres et de traductrice des Anciens commence à se répandre dans tout le royaume et même en Europe. En 1684, elle est reçue à l’Académie de Padoue. L’année suivante, elle et son mari se convertissent au catholicisme pour échapper aux menaces qui planent sur les Protestants. Cela leur vaut d’être présentés au roi qui les gratifie d’une pension de 1500 livres pour André et de 500 livres pour Anne.
En 1694, Anne Dacier a la douleur de perdre son fils âgé de 10 ans. Son unique consolation est alors de continuer à élever sa fille qui meurt à son tour à l’âge de 18 ans. Cette disparition la frappe cruellement. Dans sa préface de l’Iliade, elle écrit : « Après avoir fini cette préface, je me préparais à reprendre l’Odyssée et à la mettre en état de suivre l’Iliade de près ; mais frappée d’un coup funeste qui m’accable, je ne puis rien promettre de moi ; je n’ai plus de force que pour me plaindre ».
La traduction en français de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, le premier en 1711 et le second cinq ans plus tard rend Anne Dacier célèbre à tout jamais.
Elle ralentit ensuite sa production littéraire. Elle a encore le souhait de traduire Virgile, mais les forces lui manquent. Aux dires de ses contemporains, sur ses vieux jours, elle est d’une très grande modestie ne laissant jamais paraître la personne exceptionnelle qu’elle est et l’œuvre qu’elle a fournie. A un savant allemand qui vint lui solliciter une dédicace, elle écrivit son nom accompagné de ce mot de Sophocle « Le silence est l’ornement des femmes ».
Elle meurt le 17 août 1720 et est inhumée dans l’église de Saint-Germain l’Auxerrois à Paris.
De son vivant, Anne Dacier n’a pas été comblée d’honneurs et de gratification à hauteur de son talent et de son génie. Cependant, c’est pour elle qu’on a inventé le terme « traductrice » dans la langue française.
Boileau, La Bruyère, La Fontaine, entre autres, ont chanté ses louanges. Voltaire l’a présentée comme « l’un des prodiges du siècle de Louis XIV ». Gilles Ménage vit en elle « la femme la plus savante qui soit qui fût jamais ».
Anne Dacier a vécu 24 ans à Saumur. Une rue porte son nom, mais il faut savoir qu’il s’agit d’elle, la fameuse « rue Dacier ». A Paris, il n’y a pas de rue à son nom.
Le château de Brissac conserve un très beau portrait d’elle de l’école de Mignard et le musée d’Angers, un buste du XVIIIe siècle.
Bibliographie :
– TRAVAILLE Paul, Etude sur la vie de Madame Dacier, in Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois, n° 74, pp 47-61, avril 1935.
– BODIN Jean-François, Recherches historiques sur la ville de Saumur, ses monumens et ceux de son arrondissement, Volume 2, Chapitre XXX, Saumur, P. Godet, 1845, p. 395-406.
– ITTI Eliane, Madame Dacier, femme et savante du Grand Siècle (1645-1720), Editions L’Harmattan, Pais, 2017.
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Commentaires 4
Merci et bravo pour cet excellent article
Ca serait bien que la rue Dacier soit rebaptisee Anne Dacier
Ce serait un juste retour des choses…que d’honorer cette belle personne, en lui témoignant une reconnaissance par la population Saumuroise en renommant la rue Dacier par : Anne Dacier
Ce serait un minimum de reconnaissance, surtout que les femmes ne sont que trois à avoir les honneurs (hormis les couples, Marie Curie….).
Pour info, les deux autres sont Jeanne Delanoue et, Jean de la Brête, pseudonyme de ???. Il y a aussi Eugénie Grandet, mais c’est un personnage de fiction.