À la fin de la grande guerre 14-18 qui a fait plusieurs millions de victimes, toutes les municipalités de France ont souhaité rendre hommage à leurs concitoyens décédés, en érigeant un monument commémoratif. Plus de 36 000 monuments vont être construits entre 1918 et 1926. En 1918, le traumatisme est immense pour les familles. 8 millions d’hommes ont été mobilisés et 1,5 millions sont morts, soit plus de 10% de la population active masculine, sans compter les 3,4 millions de blessés et mutilés. Ceux qui sont revenus vont être à l’origine d’un formidable engouement pour la mémoire de leurs compagnons. N’oublions pas que 17% des morts ont été déclarés « disparus », et que la plupart des autres ont été enterrés près des champs de bataille, parfois en fosse commune, parfois en cimetière militaire, loin de leur village. Les monuments aux morts de la guerre 14-18 sont des néocénotaphes, c’est-à-dire des tombeaux qui ne contiennent pas de corps mais honorent la mémoire du défunt. Sa commune natale, celle où il était citoyen, le célèbre par son nom, son identité de personne. Son corps, celui du soldat mort au combat reste dans les charniers des champs de bataille. Avant, les monuments édifiés honoraient les combattants d’une bataille. En 1918, on va graver les noms de tous ceux qui sont « morts pour la France ». Plus tard, on y ajoutera les combattants morts quelques années plus tard, puis ceux de la guerre de 1870 et ceux de 39-45. Aujourd’hui, sur les 155 noms des morts de la grande guerre, on peut lire 143 noms de Beaufortais combattants décédés entre 1914 et 1918 et 12 autres décédés entre 1919 et 1935.
Un monument pour honorer les morts
À Beaufort-en-Vallée, la décision est prise le 20 juillet 1919 d’élever, en principe sur la place Notre Dame, un monument en souvenir des militaires beaufortais morts pour la France. Pour le financer une souscription est ouverte le 31 août auprès des habitants. Il est voulu, suivant le modèle 42 bis du statuaire angevin Rouillard. Il ne comportera aucun emblème religieux, conformément aux directives du ministre de l’Intérieur, diffusées à tous les maires, pour ce qui concerne les monuments placés hors cimetière. La nouvelle municipalité, arrivée en décembre 1919, sous la présidence de Louis Baillif, décide de voir plus grand. Elle met au concours national, auprès de tous les artistes français, la réalisation d’un monument répondant à un programme détaillé, pour un prix plafond
déterminé. A l’examen de ce programme, quelques candidats écrivent au maire pour lui signaler l’impossibilité de le respecter sur l’ensemble des points. De fait, les offres présentées ne répondent pas aux attentes et le concours est déclaré infructueux le 19 mai 1921. Le conseil municipal sollicite alors, à l’amiable, Charles Breton statuaire parisien pour les parties en bronze et François Charrier « granitier » à Vézins pour le socle et la colonne. Les projets présentés sont acceptés le 22 octobre 1921. Ajoutons que Jules Desbois, le sculpteur, alors chargé du monument aux morts d’Angers, assisté de René Grégoire, avait proposé ce dernier au maire de Beaufort, pour réaliser la statue.
Le choix de l’implantation
Les propositions se succèdent : l’entrée du mail ; la place Pomone ; la butte du château ; la place Notre-Dame. Beignet proposera, après étude comparative minutieuse, l’entrée du mail, comme meilleur endroit. Le projet d’installation sur une place publique ne satisfait pas tout le monde. Un groupe de mères et veuves de guerre a adressé une supplique à la municipalité pour élever le monument dans le cimetière « pour aller quand nous le désirons nous agenouiller près de ce monument prier et pleurer et porter des fleurs en souvenir de nos chers morts ». Le conseil municipal se décidera finalement pour le champ de foire, à l’appui de la butte du château. Une pétition contre ce choix est envoyée au maire : « Le champ de foire n’est vraiment pas une place digne de l’honneur dû à leur mémoire. Malgré tous les aménagements et transformations qui y seront faits ce sera toujours le champ de foire. La municipalité aurait pu trouver en ville, un emplacement plus digne de commémorer le souvenir de leur glorieux morts ». Pour répondre à la première pétition, il est alors décidé, comme dans beaucoup de communes, de répéter les plaques nominatives dans l’église paroissiale. Elles prendront place en tableau derrière la Piéta existante, dans le bas de la nef.
Finalement inauguré en 1922
Les travaux, tout juste terminés pour le principal, l’inauguration du « monument aux morts », le 30 juillet 1922, a fait l’objet de deux cérémonies. Le matin, après une grand-messe célébrée dans Notre-Dame, il y a eu la bénédiction des plaques commémoratives de l’église. L’après-midi, pour la cérémonie officielle, un cortège est parti de la mairie pour se rendre au « square du château » où après le discours du maire, il a été fait l’appel aux morts, suivi des discours des personnalités. Concernant le budget de cette réalisation, il s’élève à l’époque à 40 800 francs, ce qui représente aujourd’hui la somme de 4,7 millions d’euros.
155 hommes de Beaufort
La population de Beaufort en 1911 comptait 4000 habitants. Depuis 1850 et le départ de la manufacture, elle en perdait régulièrement en moyenne 200 par dizaines d’années. Entre 1921 et 1911, elle a perdu 3 fois plus d’habitants : 650, dont les 155 décédés au front, les enfants qu’ils n’ont pas pu avoir, et probablement des familles endeuillées qui se sont déplacées. Les conséquences du conflit ont donc été importantes dans les villages, il fallait revivre. D’où l’enjeu de donner à la population un lieu de mémoire pour se rassembler. Si une vingtaine sont décédés à l’hôpital ou dans leurs foyers, plus de la moitié sont tombés en combattant, pour la plupart dans le nord-est de la France : l’Aisne, la Marne, la Meuse, le Pas-de-Calais ou la Somme. Une vingtaine est décédée à l’étranger, notamment en Belgique (13). 2 sont morts en captivité après l’armistice. La moitié n’a pas eu de sépulture, du moins pas de sépulture connue ou individuelle. Les autres morts reposent en cimetières militaires, près des champs de bataille. On peut alors comprendre la difficulté des familles de faire son deuil sans le corps du défunt (certains avaient été déclarés « disparus »). C’est là tout l’enjeu des monuments aux morts, tombeaux sans corps érigés à la mémoire non pas des victoires et des combattants, mais des morts de la grande guerre.
Qui étaient-ils ?
La moitié de ces 155 noms sont nés à Beaufort, la plupart (90%) dans le Maine-et-Loire. On trouve aussi un Marseillais, un Normand, un Savoyard, un Parisien et quelques-uns des départements limitrophes. La moyenne d’âge lors du décès est 28 ans. Les trois-quarts des combattants avaient moins de 35 ans et 63 avaient moins de 25 ans. On compte 6 jeunes de 19 ans. Le plus jeune avait 18 ans. Il s’agit de Henri Lambert, ouvrier sabotier à Beaufort, mort le 1er novembre 1918 de ses blessures dans l’ambulance qui l’évacuait des combats de Mont-Saint-Rémy, dans les Ardennes, où il est enterré. Il aurait eu 19 ans juste le 11 novembre 1918. Il était engagé volontaire en tant que canonnier conducteur dans le 35ième régiment d’artillerie de campagne. La guerre a privé la ville d’une partie de ses forces vives, en 4 ans, dans tous les secteurs :
– L’agriculture, qui paye le plus lourd tribut : 69 cultivateurs, 2 ouvriers agricoles, 20 domestiques de ferme, 5 jardiniers, 1 aide de culture et 1 journalier
– Le commerce : 1 boucher charcutier, 1 charcutier, 1 cafetier, 2 coiffeurs, 1 cordonnier, 1 cuisinier, 1 boulanger, 2 pâtissiers, 3 employés de commerce, 1 employé livreur, 1 garçon maquignon
– L’artisanat : 4 menuisiers, 1 charron, 1 cirier, 1 maréchal-ferrant, 1 sabotier, 1 ouvrier sabotier, 1 ouvrier tonnelier, 3 peintres en bâtiments, 1 sellier bourrelier, 1 typographe
– La santé : 1 docteur, 2 étudiants en médecine et en pharmacie
– Et aussi : 1 gendarme, 1 soldat de métier, 2 domestiques, 3 valets de chambres, 1 étudiant.
Source : PDF réalisé par la commune de Beaufort-en-Anjou diffusé lors de la cérémonie du 11 novembre 2022.
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