Dans le cadre de la programmation de création contemporaine de l’Abbaye royale de Fontevraud, une cloche est coulée chaque année et le décor de celles-ci est confié à un artiste. C’est le dispositif est appelé « A toute volée » (relire nos articles ici et ici). L’objectif est de recréer la sonnerie complète de six cloches pour le beffroi de l’abbatiale de Fontevraud. Plus aucune cloche n’avait résonné depuis la Révolution française où elles avaient été décrochées pour être transformées en pièces de monnaie (relire notre article sur l’histoire des cloches de Fontevraud) ! Depuis 2019, l’Abbaye royale de Fontevraud a donc confié à la Fonderie Cornille-Havard en Normandie, en collaboration avec un artiste ayant déjà réalisé une œuvre par le passé avec l’abbaye, la réalisation de la Ronde : Aliénor (2019) conçue avec Nicolas Barreau et Jules Charbonnet, Richard (2021) conçue avec François Réau, Pétronille (2022) conçue avec Makiko Furuichi. En ce début du mois d’avril, l’abbaye a accueilli une quatrième cloche, Gabrielle, dont le décor est signé de Paul Cox. Celle-ci rend hommage à une abbesse emblématique ayant marqué l’histoire de Fontevraud : Gabrielle de Rochechouart (notre article sur cette figure emblématique de l’Abbaye).
Un projet unique
Ces cloches sont reparties dans les jardins de l’abbaye, observant de loin le clocher dans l’attente d’y monter. Si jamais elles y remontent un jour. Emmanuel Morin, directeur artistique de l’Abbaye à l’origine de ce projet mêlant culture et histoire explique : « L’objectif de ce dispositif était de raconter ce patrimoine spectaculaire mais invisible. En effet, les cloches, nous les voyons généralement lors de leur inauguration puis elles montent dans le clocher pour 350 ans au moins et là, on ne les voit plus. Si l’idée originelle était en effet de replacer les cloches dans le clocher de l’Abbaye – qui en a accueilli jusqu’à 22 sur ses différents monuments – les bâtiments de France ont un peu freiné cette idée, pour des raisons de solidité de l’édifice notamment. Nous avons alors saisi cette opportunité pour permettre aux visiteurs de voir ces cloches de près, de les entendre sonner, de les toucher. A présent, elles sonnent toutes les heures et cela fait écho au rôle premier des cloches qui rythmaient autrefois à la fois la vie monacale et la vie du village. » Si elles sont installées pour le moment dans des écrins de bois adaptés à la taille et à la sonorité des cloches – bas et larges pour les plus grosses cloches et hauts et plus étroits pour les plus petites comme pour coller à la longueur d’ondes et de vibrations de celles-ci – l’abbaye a pour projet de créer une sorte de théâtre de cloches où il sera possible de les voir se balancer et les entendre sonner à la volée ! Ce projet de création de cloches aux décors réalisés par des artistes contemporains en vue d’être exposées est unique. Des études approfondies du clocher et des archives ont permis de déduire quelles cloches occupaient autrefois le clocher de l’abbaye.
Gabrielle vue par Paul Cox
Le travail sur la cloche était une première pour l’artiste Paul Cox. Il lui a fallu réaliser un motif sur un moule en cire qui a ensuite été entouré d’un moule en terre dans lequel a été coulé le bronze. Afin de conserver la sonorité, la bonne note, il ne fallait pas que le décor dépasse 4mm d’épaisseur. Paul Cox sera resté 15 jours dans la fosse de la fonderie normande pour dessiner le décor de cette géante de 1.2 tonne et de près de 1.3m de haut. Paul Cox revient sur sa création et ses choix : « La première idée qui m’est venue à l’esprit en commençant à travailler sur la cloche « Gabrielle » a été d’utiliser le motif du filet, constant sur les épigraphies, mais au lieu d’utiliser un ou des filets parallèles à la base de la cloche, plutôt de le traiter en spirale. Puis m’est venue l’idée de poser sur cette spirale des éléments figuratifs, dans un esprit d’art populaire, naïf et narratif, comme on peut le trouver dans les sculptures et les reliefs des chapiteaux et des tympans dans les églises. Cette spirale, au départ simple intuition formelle dictée par le volume de la cloche, m’a paru aussitôt être une forme symbolique permettant de figurer l’élévation spirituelle. Elle peut évoquer également une portée musicale, rythmée par les éléments qui l’animent. Les visiteurs percevront la cloche en deux temps : d’abord de loin, ils verront le motif dominant de la spirale, puis, en s’approchant, ils viendront déchiffrer les petits éléments en tournant autour de la cloche et de ses spires (il y a en réalité deux spirales, dessinant sept étages). Les éléments que j’ai placés sur la cloche évoquent la vie de Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, à qui la cloche est dédiée, et qui fut abbesse de Fontevraud de 1670 à 1704, mais aussi la vie de l’abbaye et du monde rural alentour. Ordonnés selon une progression chronologique, ils gravissent la pente vers le faîte de la cloche. Le début des spirales montre des images de commencement, scènes d’enfance, lever de soleil, leur fin évoque la sérénité, l’ascension, la mort. La cloche « Gabrielle » sonnera un ré, première syllabe de « résonner ». »
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