33e abbesse de Fontevraud, Marie-Madeleine Gabrielle de Rochechouart n’en demeure pas moins l’une des plus emblématiques. Née au Palais des Tuileries en 1645, elle est issue de la très haute noblesse. Son père, gentilhomme du roi, est ainsi gouverneur de Paris. Pour parfaire son instruction, ses parents l’envoient à 11 ans, à l’abbaye-aux-Bois. Prédisposée pour l’étude des langues, elle y apprend l’italien, l’espagnol et le latin. À 19 ans, elle prend finalement l’habit en présence de deux reines, Anne et Marie-Thérèse d’Autriche. L’année suivante, elle prononce ses vœux solennels et commence dès lors l’étude du grec et même de l’hébreu afin de s’approprier le nouveau testament dans la langue originelle.
La reine des abbesses
Nommée abbesse de Fontevraud en 1670, « trois dispenses lui seront néanmoins nécessaires, l’une parce que la nouvelle abbesse n’avait pas 25 ans, la seconde parce qu’elle changeait d’Ordre, la dernière parce qu’elle ne comptait pas cinq ans de profession ». Une intervention de Louis XIV et de la Montespan, sœur de l’abbesse, a probablement facilité la chose. À Fontevraud, durant son abbatiat qui court de 1670 à 1704, elle n’aura de cesse d’entretenir cette curiosité intellectuelle tant par la lecture que par l’écriture. Son érudition et son esprit sont vantés par ses contemporains, en premier lieu desquels le roi lui-même qui la qualifie de « reine des abbesses ». On lui attribuera même une traduction du Banquet de Platon. Elle entretient par ailleurs des relations épistolaires avec nombre d’écrivains et hommes de lettres de son temps. Citons Nicolas Boileau, Madame de Lafayette ou encore Racine dont elle fait jouer, en 1689, la tragédie Esther. À cette occasion, les rôles furent attribués aux novices et religieuses de Fontevraud, ainsi qu’à l’abbesse, elle-même et sa sœur, Françoise-Athénaïs.
Un abbesse bien dans son abbaye
Sensible à un cadre de vie plus agréable, elle est à l’origine de l’embellissement des jardins de Fontevraud, en particulier ceux du clos Bourbon où l’on note la présence de treilles de chasselas et de muscat. Elle fait également remanier le palais abbatial tout en gérant la reconstruction du noviciat en 1684. L’arbre ne doit pas pour autant cacher la forêt car l’abbesse fuit la mondanité. Ainsi en 34 ans d’abbatiat, on ne connaît que quatre séjours de l’abbesse dans la capitale. Le premier, en 1675, où elle est appelée à Paris pour aller visiter son père malade, et une dernière fois en 1700, pour un procès qu’elle soutenait contre les évêques qui remettaient en cause sa juridiction ecclésiastique. Toute sa vie durant, elle gardera un attachement indéfectible à Fontevraud, au point de refuser l’abbaye de Montmartre que lui proposait pourtant le roi.
La cloche Gabrielle racontée par Paul Cox
« La première idée qui m’est venue à l’esprit en commençant à travailler sur la cloche « Gabrielle » a été d’utiliser le motif du filet, constant sur les épigraphies, mais au lieu d’utiliser un ou des filets parallèles à la base de la cloche, plutôt de le traiter en spirale. Puis m’est venue l’idée de poser sur cette spirale des éléments figuratifs, dans un esprit d’art populaire, naïf et narratif, comme on peut le trouver dans les sculptures et les reliefs des chapiteaux et des tympans dans les églises. J’avais en tête plusieurs références qui me sont chères : les « poyas », ces papiers suisses découpés qui montrent l’ascension des vaches vers les alpages, la Tapisserie de Bayeux, la colonne Trajan, les hiéroglyphes égyptiens, et plus près de nous les pictogrammes de Matt Mullican.
Cette spirale, au départ simple intuition formelle dictée par le volume de la cloche, m’a paru aussitôt être une forme symbolique permettant de figurer l’élévation spirituelle. Elle peut évoquer également une portée musicale, rythmée par les éléments qui l’animent. Les visiteurs percevront la cloche en deux temps : d’abord, de loin, ils verront le motif dominant de la spirale, puis, s’approchant, ils viendront déchiffrer les petits éléments en tournant autour de la cloche et de ses spires (il y a en réalité deux spirales, dessinant sept étages). Les éléments que j’ai placés sur la cloche évoquent la vie de Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, à qui la cloche est dédiée, et qui fut abbesse de Fontevraud de 1670 à 1704, mais aussi la vie de l’abbaye et du monde rural alentour. C’est une sorte d’imagier aux allures de praxinoscope, où se côtoient religieuses et religieux, paysans, personnages de la Cour (dont Gabrielle fut proche, étant la sœur de Madame de Montespan), éléments d’architecture de l’abbaye, animaux, évocations des saisons et du temps, figures symboliques. Ordonnés selon une progression chronologique, ils gravissent la pente vers le faîte de la cloche. Le début des spirales montre des images de commencement, scènes d’enfance, lever de soleil, leur fin évoque la sérénité, l’ascension, la mort.
Il y a parfois des voisinages cocasses, comme ce cochon qui jouxte Louis XIV, ou l’oie qui accompagne une courtisane, ou ce petit diable qui seul dévale la pente à contre-courant. Mais à part lui, tout ce monde, régulier comme séculier, est entraîné par l’ascension spirituelle de la vie monastique qui guide la procession vers le haut. La cloche « Gabrielle » sonnera un ré, première syllabe de « résonner », selon les noms de la gamme imaginés par Guido d’Arezzo – on ne pouvait rêver meilleure note pour évoquer le rayonnement de Gabrielle et de l’Abbaye. »
(1) Relire notre article sur la nouvelle cloche du dispositif artistique « A toute Volée » : https://www.le-kiosque.org/fontevraud-une-nouvelle-cloche-a-venir-pour-labbaye/
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