On ne joue plus guère à la balle au prisonnier, pas plus qu’aux billes, au Tour de France simulé sur un parcours parsemé de vélos de plomb. Une grande boucle de terre ou de sable jalonnée de casaques multicolores dont l’emblématique maillot jaune, distingué par les ondes nasillardes d’un radio-transistor « Radiola » ambulant. Tout ça est bien normal dans des mœurs changeantes, appliquées à la nécessaire modernité du temps qui court sur tous les âges. Mais, j’ai 10 ans, comme le clame gaillardement Alain Souchon, j’ai 10 ans et joue pleinement mon enfance malgré un saut (prématuré) dans l’inconnu de la cour des grands. Et il est impressionnant et discipliné autrement le collège dans la classe duquel s’offre un premier pupitre martyrisé par la gravure profonde d’une citation sans rides… qui court sur tous les âges. « La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » était-il écrit pour interpeller la curiosité du nouveau témoin attaché à la place pour une pleine et entière année scolaire. Sans jamais le lier à quelque philosophie hors d‘atteinte, cet écrit de Paul Valéry ne s’émancipait jamais totalement de ses pensées, servi par les actualités d’une guerre télévisée, en noir et blanc, sur l’unique chaîne de l’ORTF.
Ambitions sournoises
Malgré des tapis de bombes déversées sur le Vietnam, l’Amérique s’enlisait dans un conflit destructeur ponctué par une humiliante retraite, bien plus tard, en 1975. Immoral et ravageur, il fractionna les Américains provoquant un vent de révolte et l’avènement de nombreux mouvements pacifiques, dont l’iconique concert de Woodstock, en 1969. Les Creedence Clearwater Revival (Fortunate Son) et les Doors de Jim Morrisson (Unknown soldier) portèrent l’écho de cette indignation par-delà les frontières du champ funeste. Sans répit les guerres se renouvellent, consument donc les vies de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. « Caressez longuement votre phrase et elle finira par sourire” disait Anatole France dans une allégorie bien optimiste à laquelle on voudrait croire. Difficile toutefois quand on sait que le grand monde se parle, les importants, de Washington, Pékin, Moscou, Tel-Aviv, Téhéran, Beyrouth, Riyad, Abou Dabi, Doha, du Hamas, du Hezbolla, des Houthis. Tout le monde se parle, se ment, se manipule entre guerre et paix, dans la nature destructive de l’arrogance, d’ambitions tortueuses et sournoises. Tout le monde se parle, mais personne n’entend l’agonie du soldat qui meurt. « Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable *» est un adage imprescriptible, non avoué, dont s’inspirent aujourd’hui des belligérants opportunément légitimés par les pires d’entre eux. La guerre avilit le genre humain et prospère dans une faillite inapaisable. Ce dimanche 6 octobre, c’est la journée mondiale du sourire. Le bon élève va longuement caresser sa phrase. Peut-être finira-t-elle donc par sourire, faire oublier la grimace.
Georges Chabrier
* Nikita Khrouchtchev
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