Au terme de la Seconde Guerre mondiale, la France était débitrice des Etats-Unis à hauteur d’une somme de deux milliards de dollars. Les comptes entre les deux nations se soldèrent dans la cadre de l’accord Blum-Byrnes signé le 28 mai 1946, prévoyant notamment d’abaisser les barrières douanières pour relancer l’économie américaine. La production cinématographique comptait parmi les contreparties accordées pour favoriser l’expression du 7e art d’outre-Atlantique dans notre pré carré national. Cinq mois plus tard, en octobre, était inauguré le Centre National de la Cinématographie (CNC) dont l’ambition consistait à restaurer les salles de projection et, surtout, à relancer la création par le soutien économique de la production des œuvres. Depuis, cet établissement public indépendant n’a eu de cesse de préserver « l’exception française » dans une expression malmenée par les pleins pouvoirs des distributeurs, les « major companies » que sont aujourd’hui MGM, Warner, Paramount, Twentieth Century-Fox… Un véritable rouleau compresseur imposant un rapport de force disproportionné, galvanisé par une logique de profit au détriment, souvent, de tout enrichissement culturel. Dans sa mission de soutien, notre CNC tempère donc les dérives occasionnées par ce déséquilibre en redistribuant la manne financière collectée par la perception de taxes sur les entrées en salles, les ventes ou locations de vidéos et les services de télévisions. Autant dire beaucoup d’argent (non public), près de 700 millions d’euros redistribués à la faveur, entre autres, de la moisson ruisselante des « blockbusters », les Avatar, Titanic ou Star Wars et leurs milliards de dollars de recettes.
Julia Ducourneau, puis Justine Triet en or
Troisième puissance mondiale de la production, derrière l’Inde et le surprenant Nigéria, les Etats-Unis sont, malgré eux, des contributeurs indispensables à l’entreprise vertueuse du CNC dont les ressources maintiennent la création française à un niveau de prétention tout à fait respectable. A l’inverse de l’Italie confinée dans l’ombre d’un passé glorieux, son âge d’or des années 60, couronné par les palmes de Fellini (Dolce Vita) et de Visconti (Le Guépard) sur la Croisette de Cannes. Si ce n’est un sursaut en 2001 avec « La Chambre du fils » de Nanni Moretti, les héritiers de la Cinecittà sont toujours en sommeil, groggy par les effets dévastateurs du règne berlusconien. Le temps a passé. Silence ! En France, on tourne toujours sous l’oeil bienveillant du CNC, dans le sillon de ceux qui perpétuent l’histoire et s’affichent méritoirement au palmarès le plus couru du 7e art. En 2021, Julia Ducourneau crée l’émoi, le trouble porté par Agathe Rouselle et Vincent Lindon, le duo glaçant de « Titane » et cette année encore, la magie a opéré. La récompense suprême a été accordée à Justine Triet engagée dans le parcours insondable du couple, du désamour et de la justice.
Une chute inattendue
« L’anatomie d’une chute » a été plébiscité par la critique et projeté dans le sensationnel des médias galvanisés par la « chute » inattendue du discours de la réalisatrice. Comme d’autres avant elle, Pialat et son célèbre «Vous ne m’aimez pas, et bien je ne vous aime pas non plus », Godard, Truffaut et Lelouch appelant au boycott du festival de 68, en solidarité avec les étudiants et travailleurs en grève, voire Noiret dénonçant « la grande connerie » des pourfendeurs de « La grande bouffe » de Marco Ferreri, comme d’autres donc , Justine Triet a profité de la tribune offerte pour s’exprimer. « Je ne peux pas me contenter de parler de ma joie sans évoquer la réforme des retraites (…), la contestation historique, puissante et unanime qui a traversé le pays, ce mouvement nié et réprimé de façon choquante et ce schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé qui éclate dans plusieurs domaines (…) dont celui du cinéma (…). La marchandisation de la culture est susceptible de briser l’exception française sans laquelle je ne serais pas là devant vous » a-t-elle précisé. « Il est possible de se tromper et de recommencer » a-t-elle ensuite subtilement suggéré à l’endroit des gouvernants, dont Rima Abdu-Malak, ministre de la Culture, « estomaquée par le discours injuste » d’une professionnelle qui a bénéficié du système. Sous-entendu de fonds publics dont on sait qu’il s’agit, en l’occurrence, d’une doucereuse contre vérité. A l’unisson, la majorité a claironné sa colère. Quant au président, il a dérogé à la tradition en omettant de féliciter la lauréate. Pas de tweet, pas de coup de fil, coupez ! Clap de fin sur l’anatomie d’une lutte singulière.
Georges Chabrier
*Emprunté à Patrice Chéreau
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Commentaires 4
Ce que je reproche à la lauréate c’est d’avoir osé parler de répression en France devant des iraniens, des russes, des saoudiens etc, de ce plaindre d’un système qui permet la création de films par des fonds publics. Cher Chabrier les taxes relèvent de la sphère publique.
Très juste Francis Prior et je ressens la même chose et j’ai honte pour le mal que cette petite personne J. Triet fait à la France. Sa gloire sera de courte durée. Et je ferai comme oups!!! en m’abstenant d’aller voir son film.
Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ! en clair chacun à sa place et remplir son « rôle ». Et j’ai bien retenu le titre du film : pour ne pas aller le voir et contribuer à ma façon à l’anatomie de SA chute !
« argent non public » est incorrect : dira-t-on que les recettes de TVA prélevées sur la consommation des ménages est de l »argent non public » ?