Le 26 juin 1964, a l’Assemblée nationale, M. André Franchon, rapporteur, appelait à la discussion d’un projet de loi dite « Debré », visant à simplifier la procédure d’expropriation des terrains sur lesquels étaient édifiés des bidonvilles. « Une existence scandaleuse (…), la honte de nos cités » qui devaient être éradiquées au profit d’une notion nouvelle, « les grands ensembles » dont on avait anticipé l’épanouissement pour répondre prioritairement aux besoins de logements sociaux des Parisiens les plus modestes. Ceux-là même qui contribuaient à la reconstruction nécessaire du pays, après-guerre, au même titre que les nombreux travailleurs émigrés cantonnés dans les fameux bidonvilles aux portes des métropoles. Maghrébins, Portugais, Espagnols, Italiens, Polonais constituaient l’essentiel de ces concentrations ethniques livrées à l’indécence d’un environnement insalubre, dangereux et nocif, compensée par une vie sociale et solidaire intense. Ce n’est qu’en 1972 que le premier bulldozer entrait en action pour raser le tristement célèbre « ilôt de la folie », érigé sur la commune de Nanterre. Dès lors, les très controversées « tours des nuages », imaginées par l’architecte Aillaud, succédèrent aux habitations précaires pour s’inscrire dans le paysage urbain de cette commune qui, aujourd’hui, débat sur la sauvegarde de ce patrimoine architectural.
Dans mon HLM
Mais, pendant ce temps-là, de fameux grands ensembles avaient donc déjà poussé sur les flancs parisiens abandonnés aux vestiges luxuriants d’un passé agricole toujours prégnant. C’était le cas par exemple du côté de Montreuil (Sous-Bois), terre de cultures maraîchères où, à l’abri des murs imposants, prospéraient les pêches approvisionnant les tables élyséennes. Pas de périphérique, pas d’autoroute sur les hauteurs où paissaient les derniers troupeaux, rien autour des terres réquisitionnées pour faire pousser des escouades de barres bétonnées où l’Etat et les collectivités plaçaient leurs petits fonctionnaires aux côtés des gens modestes éligibles aux Habitations à Loyer Modérés. Les HLM des ayants-droit, d’une jeunesse encasernée dans des cages isolées, cernées par des terrains vagues, terrains de jeux, de balle aux prisonniers, de foot, de rodéos, d’ennui, de vague à l’âme, de misère galopante et dévorante. Que faire dans ce monde impréparé pour accueillir la vie. L’école est provisoire, en préfabriqué, le « Familistère » livre l’essentiel de l’alimentation, un bus unique et lointain vous ramène après le labeur d’une journée qui s’éternise sur le lino marron d’appartements sonores faisant écho de la promiscuité.
La mauvaise réputation
L’unique point de rencontre pour la jeunesse demeure la cage d’escalier où se trament les intrigues avouables, coupables, où germe le ferment de la révolte. Le quartier devient capitale d’un monde affecté par une double marginalité, spatiale et sociale dont l’expression se traduit par la violence. Par une agressivité exercée souvent ailleurs, contre les autres, nantis, contre les dépositaires de l’ordre et du désordre. Nous sommes en 1967, la « Cité de la violence » fait la une du Parisien. Nul n’a le droit de cité dans notre cité abandonnée par la force publique. Les brigades d’intervention de la gendarmerie, armées et déterminées, tissent un cordon de sécurité autour du lieu de non droit. Pendant des semaines, des fouilles approfondies aux checkpoints régulent l’accès à la citadelle maudite dont la trace indélébile marquera bien des parcours, des références stigmatisées sur les bancs du lycée, sur les premiers CV, sur toutes les tentatives d’émancipation. Nous étions en 1967, écoutions et partagions Procol Harum (A whiter shade of pale), Scott McKenzie (San Francisco), Claude François et Polnareff. Et nous étions heureux, dans notre village de mauvaise réputation, malgré l’écho, le tapage du dehors. Nous n’habitions pas avec les parias migrants relégués dans les bidonvilles. Nous étions chez nous, entre Auvergnats, Bretons, Savoyards, Basques ou Ch’timis… épargnés par les fléaux de l’argent facile, de la drogue et pourtant nous côtoyions la violence. Allez savoir pourquoi !
Georges Chabrier
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