Pour ne pas tuer les poules aux œufs d’or, Robert F. Kennedy Jr., le secrétaire à la santé de Donald Trump va devoir réviser sa copie. L’antivax enflammé est en effet confronté à une situation contradictoire entre ses convictions et son devoir à satisfaire l’appétence de ses administrés pour une denrée devenue rare et chère. Frappée par une épidémie aviaire incontrôlée, l’Amérique perd ses poules et cherche désespérément des œufs pour ses moelleux pancakes. L’affaire est grave tant ces petits déjeuners favoris influent sur l’humeur des becs fins en proie à la contrariété. La douzaine se négocie désormais à des prix exorbitants (entre 10 et 15 euros) et la pénurie sème un vent de panique obligeant les dirigeants à solliciter la bienveillance de grands pays producteurs. Un appel d’urgence a particulièrement été lancé auprès des Européens, Danemark en tête, auxquels Trump vient de déclarer la guerre commerciale. Malgré les menaces écartées d’une contagion étendue, les nations de l’UE traînent la patte pour se départir de leurs stocks. Sauf à savoir si le Groenland avec ses gallinacés élevés sur la banquise a suffisamment congelé d’œufs à la neige pour obligeamment émousser l’appétit de son futur envahisseur. Aujourd’hui, les Gallus gallus domesticus, descendants de l’archéoptéryx, à plumes, ailes et dents, sont bien domestiqués pour le plus grand plaisir des 97 % de Français consommant, en moyenne, près de 240 œufs par an. Rares sont donc ceux qui, à l’instar d’Hitchcock trouvant que « le jaune d’œuf est jaune, révoltant. Je ne l’ai jamais goûté », n’apprécient pas de le fricoter dur, à la coque, au plat, en gelée, mollet, brouillé, poché ou mimosa.
Poules et cacao
L’œuf made in France se porte bien, malgré le confinement récent de nos pondeuses privées un temps du plein air justifiant la classification 1 pour le mode d’élevage et donc un prix plus élevé pour le consommateur. Comme merveilleusement illustré dans l’émission « Capital » du 30 mars, ces derniers temps nos œufs de « plein air » ont pourtant été pondus en intérieur, à l’abri des virus et de la vigilance de grands distributeurs ayant omis d’en aviser leur clientèle et, bien entendu, d’ajuster le prix de la décote. C’est bêta ! Ils ont oublié, trop absorbés, sans doute, par la préparation de leurs têtes de gondoles enguirlandées et nappées d’œufs multicolores. Ceux de Pâques sont arrivés. Figures de printemps, de renaissance et d’éclosion, d’une tradition née, étonnement, d’une interdiction d’en consommer pendant le Carême. Ignorant tout des religions les poules s’employaient sans trêve, garnissant surabondamment caves et celliers libérés par la fin du carême, du jeûne. Les fidèles se raréfiant, le plus mineur des péchés capitaux, la gourmandise, suppléa le pieux rituel pour les non-abstinents. L’avènement d’un leurre dépouillé de sa livrée et de sa substantifique moelle, coquille, jaune et blanc, emporta l’affaire. La fève de cacao fit roi pascal l’œuf en chocolat. Aujourd’hui il s’apprête à fleurir dans tous les jardins, du Palais Royal au Trianon de Versailles, peut-être même dans la roseraie de la Maison blanche où Donald Trump a brandi sa liste de nations châtiées, profiteuses cyniques et éhontées de la charité américaine. Parmi elles figure la Côte d’Ivoire, plus grand producteur mondial de cacao, taxé à 21% sur ses exportations. Nul ne sait si la mayonnaise disruptive du chef étoilé prendra. Mais, à si peu couver ses pépinières nourricières, il pourrait ne lui rester bientôt plus que des œufs de Fabergé pour rassasier ses exigences de coq en pâte.
Georges Chabrier
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