De son vrai nom Gabrielle Chanel, cette femme exceptionnelle qui fonda l’une des maisons de haute couture parisiennes les plus prestigieuses, était, semble-t-il quelque peu mythomane. Toute sa vie durant, elle s’employa à cacher ses origines modestes. Elle racontait à qui voulait l’entendre qu’elle était née dans le train entre Tours et Saumur. Dans sa version des faits, son père était un riche négociant en vin du Midi que les affaires avaient conduit en Anjou. Sa mère, enceinte, avait voulu faire une surprise à son mari en arrivant à l’improviste. Mais sous l’effet des secousses du train, la jeune femme avait accouché avant que le train n’atteignît Saumur. Gabrielle Chanel était née. Sa naissance, le 19 août 1883, fut déclarée à la mairie de Saumur. Quelques jours plus tard, la petite famille Chanel reprenait le chemin du Midi. Gabrielle ne devait jamais plus remettre les pieds dans sa ville natale. « Je ne suis pas née à Saumur mais dans le train » se plaisait-elle à préciser.
La réalité est beaucoup moins romanesque. Monsieur Albert Chanel n’est pas négociant en vin, mais plus modestement camelot. Au cours de ses périples en Auvergne, à Courpière, il a déshonoré une jeune fille de dix-neuf ans, Jeanne Devolles, avant de déguerpir. C’était sans compter sur les ressources de la demoiselle. Celle-ci parvient à retrouver son amant et à lui faire reconnaître la paternité de la petite fille qui est née entretemps. C’est cette petite famille qui vient chercher fortune à Saumur en janvier 1883. Jeanne attend alors un second enfant.
Albert Chanel se met à vendre ses maillots et ses corsets sur les marchés. Jeanne Devolles trouve des emplois divers, lingère à la maison des Trois Anges, plongeuse à l’hôtel du Belvédère. Saumur, à cette époque, est une ville très attractive. Messieurs les officiers de l’Ecole de cavalerie mènent grand train, à l’instar de Charles de Foucault, s’efforçant d’oublier la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace et la Lorraine.
La famille Chanel s’installe dans une mansarde au n° 29 de la rue Saint-Jean. Le 19 août 1883, Jeanne, seule, se précipite en fiacre à l’Hospice Général de la rue des Boires, aujourd’hui rue Seigneur. On raconte même qu’elle accouche dans la loge du concierge. Elle met au monde une petite fille.
Le lendemain, une employée de l’Hospice, madame Joséphine Pèlerin, accompagnée de deux collègues, Jacques Sureau et Ambroise Podestat, vient déclarer la naissance. Elle n’a aucun document officiel à présenter et ne sait pas comment s’écrit Chanel. L’officier de l’Etat-Civil l’écrit alors avec un « s ». C’est ainsi que le bébé est enregistré sous le nom de Gabrielle Chasnel. Les trois employés ne signent pas l’acte de naissance car ils ne savent pas écrire.
Dès le lendemain, Gabrielle est baptisée dans la chapelle de l’Hospice, au pied du grand tableau de Philippe de Champaigne qui a réintégré Notre-Dame des Ardilliers depuis. Monsieur Chanel n’assiste pas à la cérémonie. Le parrain est Moïse Lion et la marraine Jeanne-Marie Vergnot, des personnes de complaisance. Sur l’acte de baptême, la petite fille est déclarée issue d’un « légitime mariage » de ses parents, ce qui est faux, et elle récupère un second prénom : Jeanne.
La famille reste encore quelques temps à Saumur. L’année suivante, en 1884, elle part pour Issoire dans le Puy-de-Dôme où Albert épouse légitimement Jeanne.
Voilà ce que furent les débuts de la vie de la grande couturière. Elle ne voulait pas entendre dire qu’elle était née à Saumur considérant sans doute la ville comme peu prestigieuse. A notre connaissance, elle n’y est jamais revenue.
Une plaque avait été apposée au n° 29, rue Saint-Jean, mais lors d’une rénovation, elle a été enlevée et n’a pas été remise ensuite.
Bibliographie :
– CHARLES-ROUX Edmonde, L’irrégulière ou mon itinéraire Chanel, Editions Grasset, Paris 1974
– LEBRUN Jean, Notre Chanel, Editions Bleu Autour, Paris 2014
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