Edito du Kiosque : Les dessous de la marquise

Comme la cousine « Bette » de Balzac, les autocrates s’ingénient méthodiquement à détruire leur entourage. Chez eux d’abord, en maîtrisant arbitrairement leurs populations, puis, désormais, dans la nébuleuse planétaire du Web, en déstabilisant les démocraties non apprivoisées. Eux aussi voudraient les lions de l’Atlas peignés et parfumés comme des bichons de marquise.

Fin 2018, des pelleteuses engagèrent précautionneusement la déconstruction des arcades de la place de la Bilange. Six années plus tard, les travaux d’embellissement vont bon train sur ses façades commerciales bientôt couronnées d’une imposante marquise de verre rivée sur l’acier de pannes et consoles structurantes. Du pur style Eiffel, sur lequel s’extasieront inéluctablement toutes formes de badauds en quête de spectacle de rue. Smartphone en main. Derrière ce bel atour se niche pourtant une intention bien moins émoustillante. Un effroyable dessein consistant à transformer ce diadème cristallin en tour de contrôle, de guet pour épier et identifier le chaland qui flâne, musarde discrètement, incognito. Une surveillance numérique, sophistiquée, dirigée et secrète, augmentée d’intelligence artificielle et de reconnaissance faciale ! Waouh, la haute technologie s’invite en ville pour nous pister, comme le fait la Chine avec les Ouïghours. Et, ce n’est pas tout ! A compter du 1er janvier 2025, tous les agents municipaux seront dotés de lunettes remarquables. Et pas n’importe lesquelles pouvant ressembler aux « Moscot » de Woody Allen (il les porte depuis son adolescence), ni même les extravagantes, bleu cobalt, de Michou, non, mais une version détournée de binocles connectées mise au point par des étudiants de Harvard. Elles filment et, couplées avec un logiciel de reconnaissance, vous cherchent et vous identifient pour peu que votre frimousse ait été un jour ou l’autre fièrement exposée sur des réseaux sociaux. Autant dire que nous sommes tous concernés. “Big brother is watching you”, comme l’annonçait Georges Orwell dans son roman de 1964. Après les puces 5G contenues dans le vaccin contre la Covid-19, nous voilà solidairement liés au pieu de la sécurité.

Dessous chics

Cette extravagante information livrée à votre attention un 1er avril aurait constitué un canular parmi d’autres faisant, si nécessaire, l’objet d’un démenti du lendemain vers l’audience, grandeur locale, de notre diffusion. Or, il se trouve qu’aujourd’hui la même supercherie livrée à mauvais escient par des brigades organisées de désinformation circulerait en boucle et sans limites sur le Web, la toile tissée par des prédateurs opportunistes, avides. Pas plus qu’Hillary Clinton, complice d’un trafic d’enfants dans une pizzeria, pas plus que les immigrés haïtiens de Springfield ne dévorent tout cru les animaux de compagnie de la famille Simpson, notre belle ville de Saumur ne va se commettre dans un acte extravagant, un délire purement construit à de mauvaises fins. Non, les dessous de notre marquise demeureront chics et aucunement exploités en théâtre de notre familiarité. Ce propos est donc une fausse nouvelle, une « fake-news » de plus dans la cohorte florissante de ces intox visant à influencer, à tromper les opinions publiques ballotées entre le vrai et le faux dans des flux ininterrompus et renouvelés, au gré des ambitions recherchées. Avec l’accélération du développement des technologies du numérique et notamment l’intelligence artificielle générative se pose assidument la réflexion sur l’évaluation des opportunités et, surtout, des risques encourus par des publics non avertis, incompétents pour apprécier, identifier et interagir avec l’information d’intérêt général. Le sujet est prégnant obligeant les nations à se mobiliser sur une réponse commune aux assauts concertés et subversifs contre la démocratie. En ce sens, et sous l’égide de l’Unesco, la conférence de la Semaine mondiale de l’éducation aux médias et à l’information sera organisée ce week-end de fin octobre, à Amman, en Jordanie. Dans une des plus vieilles villes du monde, sur la terre des merveilles et ses pistes de caravaniers connectés aux étoiles, aux fragrances du sable.

Georges Chabrier

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