Edito du Kiosque : Pour quelques milliards de plus

Michel Barnier a des migraines, l’Assemblée nationale la fièvre et les Français anticipent la douleur d’un traitement budgétaire de choc. Fort heureusement, trois sujets détournent l’attention pour redonner du punch aux débatteurs : la sécurité, l’immigration et, bien entendu, notre Doliprane, pour un temps encore national.
Photo AFP

On s’y croirait. Ou presque. Dans un truculent western spaghetti où des pros de la gâchette se mettent en selle pour traquer les criminels soupçonnés du casse du siècle. 100 milliards de nos euros auraient ainsi disparus des caisses de l’Etat dans un coup ourdi depuis moins d’un an, au nez et à la barbe des gardiens du temple. « Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu *?. Là sont les questions auxquelles nos Clint Eastwood, Lee Van Cleef ou Gian Maria Volonte, nos pistoleros cocardés, armés par l’Assemblée nationale, vont aller chercher réponse dans les coffres forts poreux de Bercy. Et, pour une fois, c’est à l’unisson de nos escouades politiques que la chasse aux sous-économes s’est ouverte, dans la cacophonie prégnante de l’élaboration du budget 2025. Un véritable rébus illustré d’images contradictoires, irrationnelles, dont on ne peut deviner le juste sens. Donner sa langue au chat demeure donc l’option précautionneuse pour éviter l’escalade de conjonctions extravagantes. Et ajouter encore aux maux de tête de notre Premier ministre, à la fièvre des parlementaires, aux symptômes de la douleur fiscale des contribuables ciblés par les chasseurs de dette. Pour enrayer et surmonter cette fébrilité saisonnale, il existe pourtant un remède miracle, universel, dont chacun de nous use à bon escient de ses contrariétés. Efficace et pas chère, c’est la ouate qu’on préfère pour contenir les frissons de nos nervosités. Peut-être avez-vous deviné ? L’énigme est bien moins sophistiquée que celle proposée dans l’énoncé désordonné des palabres et controverses parlementaires. Où parle-t-on de maux de tête, de fièvre et de douleurs sinon dans nos officines où se commercialisent par millions d’incontournables et génériques boîtes jaunes. Oui, l’universel Doliprane fait osmose et harmonie chez nos gouvernants subitement épris de solidarité pour sauver ce trésor national sacrifié par Sanofi, pour bichonner un fonds conquérant américain.

Gare aux libertinages incontrôlés

Vent debout contre le perfide du labo, le tout pays s’insurge et, de Lisieux à l’Elysée, on fourbi ses armes pour préserver la souveraineté sanitaire du pays. « Nous avons les instruments pour garantir que la France soit protégée » a déclaré le Président Macron pour affirmer que le paracétamol est, et restera, pour l’éternité, sous le giron de la mère patrie. Des propos déjà entendus quand d’autres fleurons tels Alstom, Alcatel Arcelor ou Pechiney franchirent le Rubicon pour un avenir meilleur sous les cieux prometteurs d’investisseurs peu enclins à respecter leurs promesses, en termes de maintien des sites de production et donc des emplois. Nonobstant, le moment est mal venu pour notre Etat trop contraint dans ses ressources pour s’investir et garantir ainsi la portée de sa parole, la pérennité de son traitement. Passée la frénésie du moment, le Doliprane va furtivement se dissoudre dans les crues violentes et récurrentes des débats budgétaires raisonnablement parés de délicats amendements. Personne ne souhaitant réellement porter la charge de la cure d’austérité prescrite pour endiguer le cataclysme, chacun joue sa partition, à demi-mesure, sous la baguette de leaders torturés par la soif du pouvoir, obnubilés par leur ascension vers le palais élyséen bientôt libéré par son locataire en faillite. Plus l’ambiguïté est profonde, plus intense semble l’excitation, l’astreinte de l’évitement des sujets à risque pour se concentrer sur une actualité prégnante du moment, le Doliprane, voire, par hasard, la sécurité ou l’immigration. Ce que l’on feint de ne pas embrasser ne cesse pourtant d’exister et quand les hommes politiques abandonnent, se détournent pour ne pas faire davantage, ils électrisent les colères enfouies dans l’infinie patience des peuples. Pour quelques milliards de moins, ce stoïcisme, communément soigné par des injections immodérées d’antalgiques pécuniaires, risque fort de se muer en libertinages incontrôlés sur les pavés ou ronds-points de France. En fièvre jaune, par exemple, pour tous les déçus leurrés, polis aux placebos dénués de toutes propriétés thérapeutiques.

Georges Chabrier

*Molière (l’avare)

 

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