Edito du Kiosque : la mort en direct

Au poids des mots, au choc des photos, ce slogan créé en 1976 par Roger Théron pour la promotion de Paris-Match, nous ajouterions, aujourd’hui, la cruauté des vidéos. De l’image professionnelle, en certaines circonstances, ou opportuniste, banalisée par nos smartphones domestiques. La violence est omniprésente dans la lumière médiatique de nos quotidiens transférés sur les théâtres hostiles de ses funestes expressions. Tantôt la guerre, tantôt les faits divers nous envahissent d’une réalité sordide, abondante, dont les charges se multiplient au diapason d’un cor obscur. La Mort en direct* n’est plus une fiction, elle s’ingère dans la sphère privée des auditoires intermittents ou addicts, instruits ou innocents, sur des millions de vues comptables de l’enrichissement démesuré des diffuseurs. Le malheur des uns faisant le confort des autres, rien ne change vraiment, si ce n’est la contribution passive et massive à l’encouragement d’un phénomène viral, irréversible. « L’homme caméra, le super-voyeur » est en compétition pour être nommé, oscarisé de la Palme d’or du meilleur buzzeur. Le scoop se vend, s’achète pour surfaire l’audience de la corrida, de la mise à mort, dans l’acceptation stoïque de la répugnance.

« La Mouche » qui tue

Le 14 mai dernier, devant l’objectif, Arnaud et Fabrice ont été lâchement assassinés dans le guet-apens meurtrier du péage d’Incarville (Eure). « La mouche » s’est envolée libérée par l’acte bestial de complices déterminés. Mohamed Amra, multirécidiviste, a pris la liberté de tuer dans une séquence effroyable, filmée et propagée à l’envi, en version originale, primitive et barbare. La mort violente de ces deux agents de la pénitentiaire n’est pas empruntée au cinéma, au rang énième d’une série dont on se repaîtra au gré des cavales d’un ennemi public n°1, jusqu’à sa neutralisation. Depuis, déjà, la concurrence opère. Un Premier ministre, slovaque, a fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Quatre balles à bout portant n’ont eu raison de sa vie attentée au présent et en direct. Depuis, déjà, une nouvelle fusillade a fait une victime près du parc de Belleville à Paris.  Ainsi, après Toulouse, Marseille, Sevran, par deux fois, la liste est longue des crimes stimulant les écrans et les statistiques de la grande délinquance (+ 38% en 2023). Les victimes sont pleurées par les familles, par les amis, tous les proches qui ne seront conviés à aucune marche blanche ou recueillement collectif, intime, nécessairement local et neutre. Nés en Belgique au sortir de l’affaire Dutroux, ces défilés processionnaires échappent en effet à toutes protestations, toutes revendications, à toutes références politiques, cantonnés dans l’émotion d’une identification forte, partagée dans une mixité sociale remarquable. Ce fut le cas, pour Thomas, Zakaria, Philippe, Shemseddine et tout récemment Matisse, emportés par l’absurdité ordinaire d’une haine virale, incontrôlée, parrainée par l’apathie et plus sûrement la rancune. Mais prenons garde, “en opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre, en surface comme en profondeur” disait Gandhi pour associer la non-violence à la conduite salutaire de l’action politique et sociale.

Georges Chabrier

*Bertrand Tavernier