Sur la place de la République de Saumur, un jeune garçon, la dizaine d’années, s’en va fièrement en direction du monumental théâtre du Dôme. Sur son dos, un petit étui triangulaire, dans sa main un porte-vue. Depuis les étages du bâtiment, s’envolent quelques notes cristallines. A quelques pas de ce joli spectacle musical, un petit atelier, sur le quai Mayaud. L’enseigne indique « Les violons d’Adèle ». Difficile de s’y tromper puisque la vitrine laisse entrevoir de nombreuses volutes de bois. Un homme d’un certain âge arrive à vélo, Saumur oblige. Il entre dans l’échoppe et en ressort quelques minutes plus tard avec un magnifique violon, d’un brun luisant. Sans étui, il le place dans un petit sac à dos, que d’aucuns plus au sud appelleraient une « poche », puis s’éloigne en quelques coups de pédales. Nous poussons à notre tour la porte de l’atelier. Première impression, l’odeur. Celle du bois, celui que l’on vient de couper. « Vous avez de la chance, il y a des jours où l’odeur est moins agréable à cause de la colle à base d’os d’animaux ou du vernis composé d’excréments de cochenilles et d’huile de lin », lance Adèle Debias, la luthière qui occupe les lieux depuis maintenant 7 ans. A l’intérieur des violons et des altos habillent les murs, suspendus par leur tête envoûtante et tourbillonnante. Au sol, des violoncelles, une forme similaire, mais une taille bien plus imposante. Et sur l’établi, une gigantesque grand-mère : « Il s’agit d’une contrebasse de 1850 qu’un client m’a déposée pour que je la restaure. Il l’a récupérée auprès de l’école de musique de Saumur. Elle avait été entreposée dans de mauvaises conditions pendant longtemps. J’ai dû ouvrir l’instrument en enlevant complètement la table pour renforcer la structure intérieure », explique Adèle. Une véritable opération à cœur ouvert et un chantier de près de 6 mois pour redonner vie et de nouvelles vibrations à cette dame aux hanches larges.
De l’archet au rabot
La passion d’Adèle Debias pour les violons a commencé très tôt. Dans son Alsace natale, elle apprend le piano et l’alto à l’âge de 7 ans. « J’ai, de fait, rapidement été confrontée à un luthier qui entretenait régulièrement mon instrument. Cela a été ma première rencontre avec le métier. Il fallait vraiment pratiquer l’instrument pour le rencontrer et découvrir son activité puisqu’il était un peu caché, dans un petit village, dans un atelier qui n’avait pas pignon sur rue ». Au fil du temps, Adèle ne parvient pas tout à fait à s’épanouir avec la seule pratique de l’alto. « Il me manquait quelque chose, le côté manuel sans doute ». Elle décide alors de s’engager dans l’apprentissage de la lutherie qui réunissait sa volonté du travail manuel et sa passion pour la musique et le violon particulièrement. « Ce luthier n’a pas été encourageant. Il n’a pas voulu me prendre en apprentissage et en stage et m’a dit de tout bonnement laisser tomber, que cela était trop difficile. » Elle n’en démord pas et tente, après son bac, une inscription, sur dossier, dans les deux écoles en Europe pour apprendre la lutherie. L’une à Mirecourt dans les Vosges – cela tombe bien c’est près de chez elle – et l’autre en Angleterre. Elle ne sera pas retenue en France et ira finalement étudier outre-manche. Elle se forme à la lutherie quatuor (violon, alto, violoncelle et contrebasse) durant 4 ans et sort diplômée en 2011. « A la sortie d’études, on est lâché dans la nature et il faut prospecter large ». Adèle envoie alors des candidatures dans toute l’Europe, en Suède, en Belgique, en Angleterre et en France. Elle reçoit finalement une réponse positive d’un luthier… au Mans ! « Un coup de chance, d’autant que j’ai été prise dans la foulée de mes études, dès le mois de septembre, et que les places sont très chères dans les ateliers. C’est un métier de niche et il faut être prêt à aller là où il y a du travail. » Elle y restera durant 5 années.
De la lutherie en terre saumuroise
Puis, lui vient l’envie de s’installer, de monter son propre atelier. « J’étais venue à Saumur, j’ai trouvé la région très belle et plaisante. Pour s’installer, on regarde souvent là où il y a des orchestres, et on se rapproche des grandes villes. Ce n’est pas ce que j’ai fait ! J’ai choisi Saumur. Cela a été plus long pour m’installer et me faire connaître. Mais je n’ai pas de concurrence directe ! Et aujourd’hui tout se passe bien et j’arrive à avoir un roulement suffisant dans ma clientèle pour ne pas avoir à m’inquiéter. Les premiers clients reviennent. » Aujourd’hui, sa clientèle est très large : « des gens de Paris qui ont été de passage ici et me confient leurs instruments. Ils trouvent ça plus pratique et plus simple ici. Je suis aussi moins chère ! J’ai également des clients étrangers, dont un Américain qui a une maison à Candes. Il faut dire que le Saumurois compte beaucoup de maisons secondaires. Je rayonne également sur le territoire plus globalement à Cholet, Bressuire, Thouars ou même Poitiers où il n’y a qu’un luthier. » Autant de professionnels que d’amateurs et d’amoureux qui souhaitent redonner vie à un instrument. « Le plus difficile est de comprendre ce que souhaite le client. Une restauration peut prendre plusieurs mois. Il ne faut pas se précipiter, bien étudier le problème. Il n’y a pas de solution type. Il faut observer et écouter. Parfois quand le client revient essayer son instrument il y a un vrai coup de cœur, j’ai parfois eu la larme à l’œil, surtout quand il joue bien », explique-t-elle. « J’apprécie également tout particulièrement le travail avec les enfants. On les voit débuter et évoluer au fil des années. Avec l’école de musique, il y a une forte demande de location. J’ai fait le choix d’acheter d’anciens violons et de les restaurer pour me créer un parc, plutôt que de faire venir des violons de Chine. » Elle propose à la fois des services de réglage, d’entretien et de restauration, mais aussi de la construction de violons neufs. Des violons neufs certes, mais avec une apparence et une architecture quasiment inchangée depuis des siècles : « Il est vrai que le violon a une image très classique. Mais le modèle existe et fonctionne très bien comme ça. Sa construction a été très bien pensée et étudiée. Dans la construction, ce sont les détails qui font la différence, la finesse de la table, les bois utilisés, le vernis, la façon de cintrer les éclisses (ndlr : les côtés du violon). Les joueurs sont aussi généralement très classiques et recherchent des sons bien précis. Il faut s’adapter à la demande. » Depuis les planches qu’elle reçoit, jusqu’au violon terminé prêt à jouer, il faut compter 300 heures de travail et le double pour un violoncelle. Décidément, le rapport au temps de ces instruments est particulier. Son projet pour 2024 : « Me remettre sérieusement à jouer du violon ! »
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