Dans notre pays, un texte fondateur fait foi pour toute situation. Voté en 1958, il a initié la Ve République et les principes qui sont toujours en vigueur de nos jours : c’est la Constitution. Peu de gens connaissent cette dernière (bien que libre d’accès), pourtant, c’est elle qui régit absolument tout dans nos existences. Elle est divisée en seize titres, eux-mêmes sous-divisés en articles. Sans compter les alinéas, la Constitution repose sur 89 articles. Une partie de la population estime que cette dernière mériterait d’évoluer pour mieux épouser les profonds changements que notre société a subis, d’autres se refusent à toucher à cet héritage. Mais ce n’est pas ce débat qui nous anime ici, que l’on soit pour ou contre son état actuel, le texte de la Constitution ravive ponctuellement les
passions au sein de l’Assemblée nationale et de l’opinion publique ; un point de détail, une virgule même : l’article 49, alinéa 3. En substance, le voici ainsi écrit : « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote
d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. » (Article 49, alinéa 3, Constitution). A bien relire cette citation, il existerait donc un moyen, prévu dès le départ, pour court-circuiter la bonne tenue de l’exercice législatif ? On pourrait donc adopter une loi en passant outre le vote de ses camarades ?
Bref historique de la manœuvre
La Constitution a beau être la colonne vertébrale de l’ordre de notre pays, nous n’y pensons pour ainsi dire jamais. Elle est là, installée, comme une figure invisible, sans qu’on la ressente au quotidien. Pour être sincère, je n’avais personnellement pas eu vent de l’existence de l’article 49.3 avant son utilisation tonitruante par l’ex-Premier ministre Manuel Valls pour faire passer en force le texte de la loi Travail (ou loi El Khomri). Peut-être était-ce lié au fait que je n’avais que 25 ans en 2016 et que les joutes verbales de nos élus ne m’intéressaient guère. Quoiqu’il en fût, cela avait provoqué un ramdam sans précédent. Les médias avaient soudainement mis en lumière cet article qui devint alors logiquement l’une des passades les plus impopulaires pour les Français. Pourtant… certains ne se sont pas gênés à abuser de cette prérogative durant leur mandat. Savez-vous qui détient le record depuis 1958 (et de loin) ? Michel Rocard, avec pas moins de 28 utilisations ! Cela paraît fou, d’autant qu’il n’a été Premier ministre que trois ans (1988-1991). En fait, si l’on regarde l’historique de ses applications, le 49.3 a presque toujours été brandi.
C’est tricher ?
Puisque c’est prévu par la loi… non. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le 49.3 est une arme comme une autre, avec ses propres règles, qu’un gouvernement peut choisir d’employer pour affirmer sa prise de position quant à un projet en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Pour l’exemple, le gouvernement actuel, présidé par Elisabeth Borne depuis la réélection d’Emmanuel Macron en mai 2022, n’est pas parvenu à obtenir la majorité parlementaire au sein du Palais Bourbon, ce qui lui rend la tâche ardue lorsqu’il s’agit de faire voter ses idées. Pour éviter ce que certains appellent une paralysie, et plutôt que d’en arriver au cas extrême d’une dissolution de l’Assemblée nationale, on recourt au 49.3. Bon, reprenons depuis le début, pour bien comprendre comment on vote une loi en France.
Lois, mode d’emploi
L’Assemblée nationale est une chambre parlementaire (au même titre que le Sénat) dont la mission principale est le vote ou la révision des textes de lois. Un rôle crucial aussi appelé « pouvoir législatif ». Pour ce faire, on élit tous les 5 ans les 577 députés qui siègent au sein de « l’Hémicycle ». Chaque député est représentatif d’une région, d’un département ou d’un territoire d’Outre-Mer, et possède une « couleur » politique (c’est à dire des sensibilités économiques et sociales particulières, par exemple). La plupart des députés rejoignent un parti ou une mouvance (le Rassemblement National, les Républicains, la NUPES, etc.) et se battent ensuite pour faire valoir les idées qui leur ressemblent le mieux. Ainsi, l’Hémicycle est divisé en quartiers où se jouent diverses intrigues (un peu comme dans Le Trône de Fer, mais sans les épées). Souvent, le parti ou la mouvance politique du Président de la République emporte aussi l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le groupe présidentiel a la majorité parlementaire. En d’autres termes : le gouvernement en place peut voter ses lois en sachant que ses députés vont, en principe, valider les textes. Et qui dit majorité, dit victoire. Mais dans le cas où la majorité n’est pas assurée, la chose est plus complexe, il faut jouer d’alliances et d’arguments pour faire pencher la balance en sa faveur. Et parfois, ça ne suffit pas. C’est le cas en ce moment même ! N’importe quel député peut proposer un texte de loi et le faire étudier par une commission compétente dans le domaine concerné. Un rapport est produit puis le projet est inscrit à un ordre du jour pour être discuté. Le texte fait la navette entre les deux chambres (Assemblée nationale puis Sénat) avant d’être adopté ou non. S’il est voté, le Président de la République le promulgue dans la quinzaine suivant la validation ou demande un réexamen au Conseil constitutionnel (assemblée garantissant le bon respect des articles de la Constitution). Le gouvernement fait face à une opposition très virulente des extrêmes (gauche et droite) mais aussi dans ses propres rangs, ce qui contrarie grandement son agenda.
C’est un terreau parfait pour l’emploi du 49.3. Pour autant, ce n’est pas un code de triche non plus, son utilisation seule n’assure pas à un texte de loi d’être automatiquement adopté. En effet, l’opposition peut, dans les 24 heures suivant le passage en force, déposer une motion de censure pour faire annuler la procédure. Il faut pour cela que 10% des députés la signent. Comme vous pouvez le constater, les choses sont toujours plus complexes qu’elles en ont l’air. Le 49.3 n’est pas un outil anti-démocratique, comme on peut le lire ou l’entendre dans certains débats houleux. Il est prévu et peut être contrecarré si l’opposition parvient à s’entendre. Rien n’est systématique, même si l’on peut s’interroger – voire s’indigner – d’un recours massif au 49.3.
Concluons donc. La Constitution de 1958 régit la vie politique et parlementaire en France, y compris l’exercice législatif au sein de l’Assemblée Nationale. Le 49.3 n’est qu’une infime partie de celle-ci, mal-aimé puisqu’il passe outre le bon fonctionnement du vote, mais règlementé comme toute chose. Cependant, peut-être pouvons-nous considérer que son utilisation répétée démontre une certaine fébrilité chez nos élus, un déséquilibre. Libre à chacun de se forger son opinion le concernant, désormais vous savez tout !
Copyright © IGNIS Communication Tous droits réservés
Commentaires 5
On se demande si on est vraiment dans une République démocratique, ils se foutent des députés! On savait qu’avec la commission Européenne les députés ne servaient pas grand chose là ils ne servent plus à rien même dans la 49-3° circonscription
Le 49/3 est un déni de démocratie, les amis d Emmanuel 1er n ont aucun scrupule à l utiliser. Si il n’ y a plus de débats,plus besoin de députés. Quand cela cessera t il ?
je ne pense pas que Mr Boissin se plaignais sous l’ère Mitterrand Rocard et leur 49 .3 a gogo !!!
Tout pareil, Rocard. Borne , sont les mêmes pas un pour racheter l autre. Ils gouvernent à coups de 49/3…. Ils sont écoeurants
De plus pour info, madame J Renard , Mitterrand était loin , très loin de mon homme politique préféré, loin de là